Les Bodin’s "Retour au pays"
Critikator
L’histoire : Maria Bodin, vieille paysanne coriace de 87 ans, perd la boule. Placée contre son gré en maison de retraite, elle décide de léguer sa ferme à son fils Christian, exilé à Paris depuis plusieurs années avec femme et enfants. Christian entrevoit l’opportunité d’un retour au pays. Mais cet héritage inattendu, n’est-il pas un cadeau empoisonné ?...
Mon avis : L’an prochain les Bodin’s fêteront leurs 18 ans d’existence. L’âge de la majorité. Mais on peut dire que depuis 4-5 ans, ils sont devenus des comédiens majeurs, présentant des spectacles et des films dont le succès va sans cesse croissant. Car, sans tambour ni trompette, la « Bodin’smania » a réellement pris forme. Maria (Vincent) et Christian (Jean-Christian) ont leur fan-club, leurs fidèles, leurs inconditionnels. Et ce n’est que justice.
Retour au pays, leur sixième spectacle, est, à mon goût, leur meilleur, le plus abouti, le plus complet. On peut bien sûr le voir sans connaître les chapitres précédents. Les deux personnages sont si bien ciblés, si parfaitement formatés qu’on n’a aucun mal à s’adapter à eux. Ce qui, à chaque fois, me sidère le plus c’est qu’on a beau savoir que c’est un homme qui se cache sous les oripeaux de Maria, on l’oublie au bout de quelques secondes tant elle est criante de vérité.
Avant même de pénétrer plus avant dans ce nouvel opus, je me dois de souligner les deux éléments qui font que ce spectacle est vraiment chouette : la qualité de l’écriture et le jeu des acteurs. Ces deux là ont vraiment le sens de la formule et de la réplique qui font mouche. Les réparties sont si nombreuses et si savoureuses qu’on aimerait en noter certaines pour les resservir dans les repas de famille. J’en ai d’ailleurs chopé quelques unes au vol, mais il y en a tellement, et de qualité : « C’est pas parce que tu ne les vois pas que t’as pas d’hémorroïdes », « C’est pas parce que j’ai un pied dans la tombe que je vais me laisser piétiner l’autre », « C’est pas parce qu’on n’a plus de dents qu’on n’a pas les crocs », « Les vieux, c’est comme les bouledogues, tant que ça bouffe pas, ça bave »… Etc, etc… Des comme ça, il y en a des dizaines. Maria, qui s’est entichée d’informatique dans sa maison de retraite, se met en tête d’expliquer à son benêt de fils ce qu’est le mot « buzz », et elle part dans une métaphore étourdissante qui provoque une salve d’applaudissements entièrement justifiée.
Donc, vous l’aurez compris, Retour au pays vaut autant pour le fond que pour la forme. La forme ? Ils l’ont les deux gaillards, et pas qu’un peu. Le spectacle va crescendo pour finir dans un véritable feu d’artifices avec une séquence burlesque digne des Marx Brothers réglée comme du papier à musique. Il est très bien construit, alternant des tableaux de durée inégale nécessaires à la trame de l’intrigue (car il y en a une), les moments de délire (les plus nombreux) et les moments d’émotion. Quant au fond, pour parodier le laboureur de la fable, ce n’est pas ce qui manque le moins. En effet, si la gaudriole ne cesse de déferler en vagues incessantes, elle s’apaise parfois pour laisser perler l’écume de la tendresse et des sentiments. Certes, c’est toujours un peu bourru, mais chez les Bodin’s, on est pudique. Les mains sont plus enclines aux torgnoles qu’aux caresses et les vacheries sortent plus naturellement que les mots doux. C’est pourquoi, lorsque ça arrive, l’émotion nous étreint d’autant plus fort. La scène du cimetière par exemple… L’avant-dernière scène, celle de l’inauguration de la ferme-auberge est pour moi la plus belle. C’est du concentré de Bodin’s. Il y a tout dedans : la roublardise de la mère, la bonhommie du fils, son désarroi… Et puis tout bascule, les masques tombent, les vérités fusent, la méchanceté s’estompe pour laisser filtrer une ébauche d’affection retenue qui ouvre une nouvelle porte…
Autre éléments qualitatif de la forme, la bande son. C’est une valeur ajoutée. Tant pour ses voix off (Ah, la scène du notaire… Quel régal !) que pour ses bruits extérieurs.
A travers ce nouveau spectacle, on s’aperçoit que les personnages ont considérablement évolué. Maria est certes toujours aussi sournoise, atrabilaire, calculatrice, papelarde, matoise, vicieuse, agressive, autoritaire, égoïste, envahissante, jalouse, mais en connaissant pendant un an la vie en maison de retraite, elle s’est ouverte au monde. Elle a appris l’anglais, l’informatique, Internet, elle s’est rapprochée de sa nièce Julie et, malgré tout et sans doute malgré elle, elle s’est un peu humanisée. Toutefois, même lorsqu’elle joue la généreuse, sa mauvaise foi chronique n’est jamais bien loin… Quant à Christian, toujours aussi intimidé voire terrorisé par sa génitrice, il commence à se montrer un peu plus finaud. Oh pas beaucoup, mais suffisamment en tout cas pour troubler son interlocutrice et la faire réfléchir. Parce qu’elle est drôlement intelligente la Maria !
Comme l’intégralité de la salle, je me suis beaucoup amusé tout au long de ce spectacle à l’humour fin et sain. On s’attache à ces deux êtres simples et si proches de nous. Comme comédiens, ils sont vraiment très forts. La moindre mimique, le moindre regard, le moindre geste, tout est peaufiné. Quand Christian est au comble de l’embarras, il a deux tics : soit il remet machinalement en place d’un geste gauche une mèche qui n’existe pas, soit il joue compulsivement avec la fermeture-éclair de son pantalon à l’improbable couleur orangée. C’est plein de subtilité et c’est pour ça qu’on y croit et que ça marche.
Bref, les Bodin’s sont aujourd’hui devenus culte.